"DéGooglisé" depuis 8 ans : d'Evernote à mon jardin numérique autohébergé (2/2)

Comment essayer de m'extirper de l'appli propriétaire Evernote m'a poussé à découvrir l'univers de l'autohébergement

Julianoë
Julianoë

À partir de 2012, après avoir découvert Evernote, j'avais commencé à être dépendant de cet outil, édité par une start-up américaine et dont le développement prenait une direction qui ne me convenait plus. Dans la quête d'une alternative plus libre, je me suis engouffré dans un changement complet de rapport à mes outils numériques. Je vous racontais le début de ce cheminement dans la première partie, voilà la suite.

Venez les copains, on quitte Messenger ?

Pour accompagner l'action individuelle d'une action un peu collective, je partage ces réflexions avec quelques amis proches et on décide de transférer nos échanges persos quotidiens de Facebook vers un nouvel outil. Après plusieurs mois de réflexions et de discussions sur l'outil vers lequel "migrer", on optera pour RocketChat, une messagerie open-source qu'on peut installer sur son propre serveur. C'est en gros un clone de l'application Slack (une énième startup américaine valorisée à plusieurs milliards de dollars).

On est en fin 2017-début 2018, j'apprends alors sur le tas comment utiliser Docker et installer une instance d'un service comme RocketChat sur un serveur. La même année je trouverai le moyen d'héberger Nextcloud sur la même machine pour délaisser CozyCloud. Une phase de transition donc : je résilie mes autres contrats d'hébergements et je rapatrie alors mes sites sur ce serveur dédié. Toutes mes données importantes sont synchronisées en ligne sur mon cloud Nextcloud hébergé sur un serveur loué chez un hébergeur français.

D'ailleurs je mets également à profit ces nouvelles connaissances et mon expérience de Linux côté pro et je commence à faire un peu d'administration système.

Autohébergement de mon troisième hémisphère de cerveau 🧠

Alors que j'avais au départ hésité à opter pour un logiciel type "wiki" pour mes notes, celles-ci ainsi que mon système de documentation pour le travail sont gérés sur des fichiers dits "plats" (au format markdown pour la plupart), et ne sont donc pas enfermés dans des bases de données de logiciels (et surtout pas dans le serveur d'un prestataire américain de logiciel "as a service" en ligne). En cas de soucis avec mon serveur, le logiciel de synchronisation Nextcloud ou avec mon PC, je peux toujours accéder à mes données et lire mes notes avec n'importe quel appareil à partir d'une sauvegarde simple. Et je les synchronise simplement avec le client Nextcloud sur mes PC et mon smartphone quand j'en ai besoin.

Sur mon PC, je teste à nouveau plusieurs applications de prise de notes et j'adopte Typora pendant une longue période. Je le complète petit à petit avec Zettlr à partir de 2021. Entre 2018 et 2021 je prends l'habitude, et plaisir, dans l'étoffement de ce nouveau système. Je ne connais pas le mot à l'époque mais je viens enfin de reprendre la main sur le plus important pan de mes données personnelles : mon Personal Knowledge Management (PKM) ou en français, mon système de gestion de connaissances personnelles.

Un système élaboré d'étiquettes me permet de créer des liens bidirectionnels entre mes notes et les thématiques dont elles traitent. Un large maillage pareil à une toile d'araignée se tisse petit à petit entre les différents sujets qui m'intéressent et sur lesquels j'écris, je lis, ou je fais des recherches et de la veille en prenant des notes. Mon troisième hémisphère de cerveau, externe, prends alors une nouvelle dimension que je peux exploiter à son plein potentiel.

2020 : vitesse de croisière et Indieweb

À partir de ce moment j'entre en vitesse de croisière : j'ai trouvé un fonctionnement sans trop de dissonances cognitives, les outils que j'utilise sont fiables, leur interface ne change pas tous les quatre matins pour des raisons marketing et je peux même participer à leur développement en discutant avec les gens qui les créent, proposer des fonctionnalités, remonter des bugs et, quand l'envie m'en prends, en apprendre un peu plus sur la manière dont tout ça fonctionne en lisant des morceaux de leur code.

N'étant pas financés par du capital risque et dirigés par le profit comme seule ligne directrice, les différents outils que j'utilise restent relativement stables dans le temps et ne subissent pas une refonte complète ou un changement de technologie sous-jacente tous les 2 ans, ce qui me permet de les garder sur un temps plus long, et l'énergie que je mets à les personnaliser et apprendre à les maitriser n'est pas perdue inutilement.

Investir du temps dans la personnalisation et la maîtrise d'outils durables est bien plus rentable que pour des outils qui changent chaque année au gré des modes et du marketing.

Fini de me poser trop de questions sur mes outils. J'ai fait un sérieux tri dans mes usages et ai repris la main sur une bonne partie de mes usages numériques. Dernièrement j'ai parachevé la migration de tous mes échanges pro comme perso hors des griffes de Gmail, qui ne me sert plus qu'à recevoir des notifs et newsletter que je lis trop peu.

Au printemps 2020 je découvre la communauté Indieweb et son superbe wiki1 qui présente des principes parfaitement alignés avec le cheminement que je viens de vous décrire et les conclusions que j'en avais tiré tout seul dans mon coin… Que de nouveaux horizons à explorer ! Le site partage des méthodologies de reprise de contrôle de nos vies numériques, et de construction d'un web alternatif et désirable, et montre aussi plein d'exemples d'implémentation. Par exemple le principe POSSE : Post on your Own Site and Syndicate Everywhere, qui encourage les gens qui partagent des choses sur internet à poster en priorité sur leur site et à partager/redistribuer les publications ensuite ailleurs (notamment sur les réseaux sociaux).

La diversité et la richesse des idées de cette communauté du "web indépendant" (ou web revival2) est super inspirante pour moi à cette période et je saute de découverte en découverte.

Depuis 2022 : concentré à cultiver mon jardin numérique

Dans la continuité, à l'hiver 2021 je découvre le concept de Digital Garden en lisant l'essai qu'y consacre Maggie Appleton3 qui tombe à pic car je cherche un moyen de partager plus facilement le travail de recherches, de veille, de notes et d'écriture que j'effectue sur différents sujets. Je me rends compte que je produis énormément de travail partagé uniquement sur les réseaux (Twitter et Mastodon à ce stade) et que c'est bien dommage de ne pas donner un lieu plus pérenne à toutes ces découvertes... et le format du blog est parfois trop contraignant à mon goût.

Je développe alors un nouveau site selon ce principe de jardin numérique4 en utilisant le générateur de site statique Eleventy, un logiciel que j'avais gardé à l'œil depuis 2020 en attendant une occasion de l'essayer dans un projet. Ce système va me permettre de : mettre en ligne une partie de mes notes et garder en local celles que je ne veux pas partager en ligne, tout en continuant à les mettre à jour régulièrement et à toutes les éditer de la même manière : directement en local, sur mon ordi, sous la forme de simples fichiers textes, que je synchronise sur Nextcloud.

J'opte à ce moment définitivement pour le logiciel Zettlr à la fois pour la qualité de son interface, la démarche de son créateur, et le fait qu'il est focalisé sur la méthode Zettlekasten qui est la plus proche de mon mode de réflexion. Depuis que j'ai identifié la pensée réticulaire ou pensée "en réseau" comme ma ligne directrice pour ma pensée, j'essaie de plus en plus de m'approcher de cette méthode afin de mailler le plus possible logiquement mes différentes notes et les différents sujets auxquels je peux m'intéresser. Vous pouvez lire mes notes sous l'étiquette pensée-en-réseau pour mieux comprendre ce dont je parle ici.

Je continue depuis de créer mes notes et de les mettre à jour. Certaines sont privées, d'autres publiques. J'utilise un système mêlant liens internes, classement dans des dossiers et des étiquettes pour les organiser et créer un maillage logique.

Un dernier coup d'oeil sur la décennie passée

Tout dernièrement, la nouveauté a été que j'ai essayé et réussi de refaire un export en format markdown de mes notes de l'époque Evernote, donc datant pour certaines de plus de 10 ans. Mais cette fois j'ai réussi, à l'aide d'un autre logiciel de prise de note, Joplin, à les exporter avec leurs métadonnées, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Une prise de notes nombreuses comme ce que je fais est utile pour organiser et complexifier sa pensée. En revanche les métadonnées (c'est-à-dire la date de création, de dernière mise à jour, les étiquettes thématiques) sont indispensables pour les utiliser pleinement et en tirer du sens. Depuis 10 ans mes notes de l'époque étaient un silo obscur difficile à réexploiter. Je considérais que cela avait été le prix à payer pour avoir quitté Evernote. Désormais, je peux de nouveau les réintégrer au reste de mes notes. Ce travail est en cours mais a déjà été plein d'enseignements.

En conclusion

La capacité à revenir sur des écrits personnels vieux de 10 ans en quelques clics est un superpouvoir. Pouvoir les mettre en résonance avec des questionnements actuels permet d'enrichir tout travail de réflexion, d'introspection, de documentation, etc. Et le chemin parcouru ces 10 dernières années et tout ce que j'ai appris en cours de route en partant de ce seul sujet anodin de la prise de note ne fait que me conforter de la justesse de mon approche.

L'état actuel de ma méthode reste chaotique. Je n'ai pas encore stabilisé mon usage et certains points de mon expérience d'édition et de mon organisation laissent encore pour l'instant à désirer. Mais je sens que je suis sur la bonne voie… et surtout, cela ne dépend que de moi et je peux faire évoluer tout ça en complète autonomie.

J'ai encore énormément à apprendre et à améliorer. Et j'espère vous avoir appris quelque chose ou donné envie de vous poser la question de vos propres usages. N'hésitez pas à me partager votre méthode et organisation. Je sais que de plus en plus de monde utilise Notion par exemple mais mon expérience avec Evernote me commande une méfiance accrue quand il s'agit d'enfermer un pan si important de mon travail intellectuel dans le système d'une entreprise privée sur lequel je n'ai pas la garantie d'avoir la main dans 10 ans… ou plus.


Sources et liens

  1. Wiki de la communauté Indieweb 

  2. Qu'est-ce que le web revival ?, Kazhnuz sur son blog quarante-douze.net, 8 janvier 2025 

  3. A Brief History & Ethos of the Digital Garden, par Maggie Appleton, 2020. 

  4. Lire ma note un peu chaotique sur les Digital Gardens